samedi 3 décembre 2011

Mexique : ils cultivent des fleurs


Samedi 13 mai 2006
AU MEXIQUE, ILS CULTIVENT DES FLEURS
 
Je cède avec plaisir le crachoir à mon ami Jean-Paul Damaggio (Angeville, France) qui parcourt depuis des années les routes du cœur et de la pensée politique de l'Amérique latine.  Dans ce texte, nous  traversons en Amérique du Nord où l'on oublie généralement le Mexique.  Vous avez entendu parler dans nos médias du carnage récent dont parle Jean-Paul à Atenco?  Nous sommes pourtant voisins et en «libre» échange avec les Mexicains!  À titre de Premier ministre, monsieur Harper devrait s'intéresser aux droits de l'Homme.  Pas un mot sur la game!  Ce que dit J.P. des médias trouve un écho ici quand il s'agit de considérer les «autres» Américains!  On n'en parle qu'au compte-goutte alors qu'une révolution politique majeure s'y déroule.  Après le Chili et la Bolivie, le Mexique risque de passer à gauche ce printemps.  Mais qui en parle?  «Les médias n’ont plus à parler du réel, ils parlent de ce dont parlent les médias», écrit Jean-Paul.   À la faveur d'une grève des journalistes de La Presse, c'est la recette exacte qu'avait mijotée M. Péladeau père en inventant son Journal de Montréal...  «Le journal doit parler de ce qui s'est passé la veille à la télévision», disait-il le plus sérieusement du monde.
 
 
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Bonjour, exceptionnellement  je réactive cette liste d'envoi uniquement suite à ma passion pour les fleurs. Le texte est un peu long mais ne peut faner facilement.  Bonne forme à tous.
jean-paul damaggio

Une étudiante chilienne à Mexico, voilà un fait banal pour débuter cette histoire banale. En ce 3 mai 2006, quand Valentina Palma se décide à prendre le métro direction Texcoco, ça n’a rien d’original : elle connaît bien la ligne qui conduit à l’aéroport de la capitale qu’elle utilise pour ses liens avec son pays.

En quittant son appartement, elle s’est munie de sa caméra, et a suivi la ligne jusqu’à Pantitlan en direction de San Salvador Atenco.

Atenco?

Au Mexique, dire « Atenco » c’est comme dire « Larzac » en France, sauf qu’à 20 km d’une capitale, on ne peut pas supposer que des paysans empêchèrent l’installation d’un camp militaire. La lutte débuta dès l’annonce des expropriations pour la construction du nouvel aéroport, c’est à dire le 1 décembre 2001, et ne s’arrêta même pas le jour de la victoire, le 11 juin 2002. Puisqu’en effet, victoire il y eut : le président Vicente Fox opta pour l’abandon du projet. Autant dire que la réussite de ces quelques paysans, ayant pu faire céder les multinationales les plus imposantes, révèle une organisation en béton du FPDT.

FPDT ?

El Fente del pueblo en defensa de la tierra engagea une lutte sur tous les plans sans laisser à l’adversaire plus de trois de jours de repos. Actions en direction de la justice, des hommes politiques, blocage de rues, émeutes. À un moment, 3000 policiers furent mobilisés pour déloger les paysans. Les dirigeants furent arrêtés. Les révoltés prirent des otages qu’ils ne relâchèrent que contre la libération de leurs amis. Vicente Fox, le renard suivant son nom, comprit que face aux militants de Ignacio del Valle il fallait user d’un stratagème que Peter Handke analysa dans un essai brillant : La fatigue.

Ignacio del Valle ?

Aussi connu que le sous-commandant Marcos, ce paysan a vécu en prison, a subi des menaces de mort et même le découragement, surtout aujourd’hui, 3 mai 2006 au moment précis où Valentina quitte le métro pour emprunter le métro-train jusqu’à La Paz et de là, avec l’aide de collectivos, rejoindre enfin San Salvador Atenco. Valentina est étudiante en vidéo-documentaire aussi, quand elle apprit qu’à Atenco les forces de l’ordre avaient tué un enfant de 14 ans, elle se décida à suivre sa tendance naturelle : partir sur les lieux du drame pour pouvoir témoigner. D’autant qu’elle venait de vivre un premier mai mobilisateur avec le délégué zéro à l’écoute des étudiants et au cœur des manifestations.



Le délégué zéro ?

Le Mexique se prépare à élire son président, un acte qui se produit tous les 6 ans avec chaque fois un nouveau candidat car le président n’est pas rééligible. En l’an 2000 le PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) perdait enfin le pouvoir après 70 ans de règne de parti unique, un règne de plus en plus éloigné des intérêts du peuple. Pour ne pas être absent de ce grand moment électoral, les zapatistes auraient pu proposer la candidature du sub, mais la démarche zapatiste est opposée à toute entrée dans la mascarade politicienne. Toute élection étant devenue une lutte de personnes sur le marché électoral, les zapatistes proposèrent au mouvement social de profiter de l’occasion pour lancer « l’autre campagne », celle qui pouvait fédérer les luttes sociales. Après 3 mois de réunions d’organisation (de septembre à décembre 2005), le délégué zéro (le sous-commandant n’a pas fait que changer de nom comme on le verra plus loin), est parti à l’écoute du pays. Depuis, les médias disent que partout où Marcos passe, il sème la révolte.

Marcos ?

Marcos était à Atenco peu avant les événements dramatiques qui viennent de se produire mais il n’est le déclencheur de rien car à Atenco comme ailleurs, les mobilisations sont bien antérieures à son passage. Pourtant le 3 mai, en décidant la plus vaste opération policière engagée depuis des années (la précédente date de la prise de l’université occupée pendant 6 mois), la question de « l’autre campagne » n’était pas absente des préoccupations gouvernementales. En faisant d’Atenco un point de fixation, il s’agissait de faire payer aux paysans de ce village l’enterrement de « l’autre campagne ». L’enjeu dépasse à présent la construction d’un aéroport. Il s’agit de la construction d’une révolution ! Ou « l’autre campagne » réussit à faire libérer les 200 prisonniers emportés par la police et sa gloire est assurée (jusqu’à présent elle était traitée de manière folklorique), ou la guerre sociale engagée est perdue, et Marcos sera obligé de se replier une fois de plus dans la forêt Lacandona.

200 prisonniers ?

L’intervention de la police fut d’une férocité exceptionnelle et Valentina Palma en est la preuve, non par ses films qui lui firent confisqués mais par ses cris … qu’elle pousse de Santiago du Chili. Quand elle arriva à Atenco vers huit heures du soir, elle commença par filmer l’organisation des gardes populaires que le FPDT mettait en place en prévision des luttes à venir. Puis, peu de temps après, toutes les cloches de la ville se mirent à sonner pour annoncer l’entrée en action de la police.

  

Elle continua de filmer ici ou là avant de se protéger en se réfugiant dans la bibliothèque située face à l’église. Valentina ne pouvait imaginer la suite.



 La police entra partout captura tout le monde et après des coups sur tout le corps, la confiscation de son matériel, elle fut conduite en prison, un temps immensément long car sur tout le trajet ce furent viols, attouchements et coups divers. Le transfert des personnes dura de huit heures du matin à quatre heures du soir ! Après un cour passage en prison, elle fut conduite à l’aéroport, où elle retrouva son compagnon et avec lui, elle fut expédiée au Chili. L’horrible répression lui laissa le goût d’une immense colère.



Colère ?

Ignacio del Valle ne sait plus ce qu’est la colère. Il ne plonge pas pour autant dans la résignation. Il tient seulement à avouer son impuissance. Son mouvement est décapité. Soit la peur cloître les paysans chez eux, soit ses amis sont en prison. Le 6 mai une assemblée générale des révoltés a eu lieu au siège du FPDT, sous l’œil attentif d’un grand mural représentant l’inoubliable Zapata. Après d’infinies discussions, un plan de contre-attaque a été élaboré. Mais que va-t-il donner ? La solidarité va-t-elle fonctionner ? La présence de Marcos est-elle un atout ou un handicap ? Pour les uns, il s’agit d’un atout et Marcos a déjà indiqué qu’il ne quittera pas les lieux tant que les prisonniers ne seront pas libérés. Pour d’autres, il s’agit d’un handicap car le pouvoir pouvait céder localement face au FPDT, mais il ne le peut plus face à « l’autre campagne » sauf à donner à tous les révoltés un bol d’oxygène.

L’oxygène ?

Pour la première fois depuis 5 ans Marcos a accepté de répondre aux questions d’un journaliste de La Jornada, son ami, Hermann Bellinghausen. La médiatisation d’Atenco ne peut pas être plus grande (au Mexique, car les luttes sociales sont indignes du moindre article sérieux de politique internationale). Que dit le délégué zéro ? Qu’Atenco confirme des observations déjà faites partout sur la planète : hier les pouvoirs publièrent des journaux à leur botte, puis les journaux devinrent un pouvoir à eux seuls (le quatrième disait-on parfois) et à présent, les médias commandent les pouvoirs politiques. Conséquence : ils y perdent alors toute crédibilité et risquent de ne plus rien pouvoir. Mais le journaliste insiste : « Vous, Marcos, ne cherchez-vous pas en premier lieu à occuper les médias ? » « Mais, comment pourrais-je vouloir occuper des médias fondamentalement opposés au combat que nous menons ? ». Alors le journaliste insiste : « Atenco est devenu une grande affaire médiatique ! ». Marcos précise : « J’ai vu TV Azteca, j’ai écouté la radio. Comme partout les médias mettent en avant la violence des paysans à laquelle les policiers auraient répliqués. Peut-être, dans certains cas, va-t-on considérer que la police a exagéré mais sur le fond, on veut faire croire que les premiers responsables, ce sont les paysans. S’ils se soumettaient à l’ordre ambiant, l’ordre serait sans problème ».

L’ordre ambiant ?

Depuis le grand texte « oxymoron » les zapatistes démontrent les transformations profondes du système : c’est au nom du droit à manifester, du droit de vote, au nom de la liberté d’expression, de l’écologie, au nom de la démocratie et des droits de l’homme qu’on assassine le droit à manifester, le droit de vote, la liberté d’expression, l’équilibre de la nature, la démocratie et les droits de l’homme. Ce faisant, on peut répondre que le système continue d’être ce qu’il a toujours été. Non, car, pendant longtemps, le système a considéré que la liberté d’expression était dangereuse, le droit de vote un pouvoir donné aux ignorants etc., puis il a été obligé de lâcher des droits sociaux qui deviennent le prétexte pour en finir avec les droits sociaux !  On comprend mieux le rôle des médias, car il faut de forts moyens d’intoxication pour faire avaler de tels oxymores.  L’ordre ambiant est le désordre organisé !

Organisé ?

« L’autre campagne » se veut une organisation révolutionnaire nouvelle. D’abord le mot organisation. Pour les zapatistes pas question de se battre sans organisation. Quand on construit une armée, l’EZLN, le bavardage est limité. Quand on sort d’une stratégie militaire, il encore plus réfléchir à l’organisation. En conséquence, toutes les forces sociales se sont rencontrés, pour des réunions dont l’ordre a été fixé par l’EZLN afin d’élaborer un comité, avec des adhérents, des directives etc. Rien de militaire puisque l’autonomie de chacun est respectée mais au nom de ce respect pas question de défendre n’importe quoi, n’importe où et n’importe quand. Les bureaucrates syndicaux pourraient noyauter le mouvement. Et à Atenco, la condamnation des violences policières ne dispense pas de toute analyse critique de l’organisation de l’action de lutte. Marcos ne dit pas que le FPDT n’a pas été à la hauteur de ses responsabilités mais que le contexte présent oblige à revoir les formes de lutte. Ce qui ne signifie pas qu’il ait la réponse aux questions posées.

La réponse ?

Le dimanche 7 : actions d’information et de collecte de fonds pour le soutien aux victimes.



Le lundi 8 : blocage d’une avenue essentielle de Mexico.

Le mardi 9 : diffusion nationale d’un tract à 500 000 exemplaires pour informer.

Le mercredi 10 : achat massif des produits des marchands de fleurs d’Atenco.

Le jeudi 11 (aujourd’hui) : blocage national des routes là où les membres de l’autre campagne le peuvent.

Le vendredi 12 : journée nationale en faveur de la libération des prisonniers politiques avec décompte des disparus avec le même jour une grande marche à Mexico.

Le samedi 13 : nouvelle réunion du collectif d’action pour fixer les dates et moyens de la grève générale.

    



Libérer les prisonniers ?

Les médias ont plusieurs objectifs. Raconter des salades est le plus basique mais il n’est pas très nourrissant. Pour l’essentiel, il faut appuyer les révoltes qui conduisent vers des impasses. Les médias savent glorifier des révolutions orange, rose, bleu, verte et j’en passe. Ici au Mexique, avec le cas des zapatistes, les médias jouèrent sur toutes les cordes. Médiatiser le sous-commandant pour faire oublier les sans commandant. Echec. Ignorer le Chiapas pour parler de femmes assassinées à Ciudad Juarez. Echec. Théoriser le combat zapatiste dont l’aspect glorieux serait qu’il ne vise pas la prise du pouvoir. Des Atenco, le Mexique en connaît des dizaines et si aujourd’hui celui des cultivateurs de fleurs est médiatique c’est parce qu’il peut influencer le résultat de l’élection. Valentina a été le témoin d’un piège à plusieurs entrées (la municipalité de gauche a collaboré avec la droite pour réprimer les paysans). Le délégué zéro ne veut pas entrer dans l’un d’eux : laisser entendre que la riposte à la violence peut se faire les armes à la main. Les zapatistes ont déposé les armes et le délégué zéro indique même que si une « autre campagne » avait eu lieu en 1993 jamais l’EZLN n’aurait surgi militairement de la forêt. Alors qu’il propose de rejeter les riches du pays, une violence extrême envers les puissants, il pense que c’est possible par l’effet du nombre. Libérer les prisonniers n’est qu’une facette du plan révolutionnaire général. Et quand le journaliste lui demande comment il peut penser possible de faire vivre un pays sans l’appui de la grande finance, il répond par l’exemple du Chiapas : dans les fermes, dans les usines (rares cependant) l’auto-organisation du peuple a donné des résultats économiquement plus rentables et socialement plus humains. Les gens vivent mieux à tout point de vue. Et si la ville de Mexico, même si c’est une jungle, est différente de la forêt Lacandona, encore une fois, un autre type d’organisation, fondé sur la satisfaction des besoins premiers des êtres humains, y est totalement possible. Pour le moment, « l’autre campagne » est organisée dans tous les états du Mexique. Il s’agit d’un mouvement national en cours de constitution. Le soutien à ceux d’Atenco est une belle occasion « offerte » par Vicente Fox, pour tester l’état du réseau. Les coups reçus ne représentent rien de plus que ceux déjà reçus depuis des décennies. La qualité de la riposte est par contre du jamais vu. Les prochains jours risquent de transformer l’élection présidentielle en camp retranché. La droite dure du PAN pense ainsi arrêter la possible victoire de la gauche institutionnelle (celle qui a voté pour Monsanto et contre des droits favorables aux indigènes). « L’autre campagne » suit sa propre logique, son propre calendrier. Aujourd’hui, ils auront été des milliers à acheter les fleurs de la victoire. Car de toute façon le peuple aura le dernier mot.

11 mai 2006


En supplément, on trouvera à ce site le témoignage de Valentina Palma (esp./ang.) et son adresse courriel :
 
 
 
 
«¡No a la violación , no al uso de mujeres y hombres como objetos, no a la brutalidad y a la tortura, no a la justificación de la violencia!»
Atte.
Valentina Palma Novoa
valenpalma@hotmail.com
 
 
Note : les photos récentes d'Aticon qu'on voit ici - ad usum privatum -  proviennent de divers journaux, blogues ou portail.  Le temps me manque pour donner crédit à chacun. Voici les principales références : 
 

 
 
 

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