jeudi 8 décembre 2011

La révolte et les songes



Jeudi 29 juin 2006
LA RÉVOLTE ET LES SONGES

Ainsi la boucle de la révolte et des songes ne se réduit pas à un coup de trompette sous le titre en cendre d'un journal jeté en après-midi dans les poubelles de jadis.  Jadis rapetissé comme une infirmité.  Aujourd'hui, dépaysé, démesuré, sans histoire ni poubelles ne peut pas prétendre être seulement l'infirmerie où l'on coupe les têtes à la télé. 
Il y a longtemps, mais c'est encore vif,  j'ai lu le récit d'un jeune Français se trouvant en exil à New York en 1942 pendant la Seconde Guerre Mondiale.  Il y fait la rencontre d'André Breton et cela le bouleverse car il réalise que sa révolte spontanée et son effronterie ne sont pas seules sur le banc du au monde.  Il est porté par un coeur parfois splendidement odieux.  Un poète chaussant les semelles de vent du XXe siècle.
J'ai adoré ce petit bouquin lu à 17 ans. Je l'ai lu d'un trait alors que je séchais un cours au collège.  Ces lignes m'ont donné le goût de l'aventure surréaliste.  Je m'y reconnaissais.  Julien Gracq n'a-t-il pas dit que «le surréalisme est à la portée de tous les inconscients»?  Du moins, il me semblait connaître d'emblée quelques bribes d'une langue sous jacente aux yeux de fougères.  Que je voulais baraguiner. 
J'avais le même âge que le narrateur dont le nom m'a longtemps échappé.  Le WEB aide à retrouver ses amis!  Il s'agit de Charles Duits, qui s'écrit comme un Puits. Qui publie encore de nos jours.
J'ai donné le livre à mon ami Gurrie, décédé depuis.  Le titre, chez Denoël est : André Breton a-t-il dit passe
Avec mes grands trous d'ignorance, je viens de saisir que cette énigmatique formule se trouve à conclure un poème magnifique de Breton, très connu sans doute par ailleurs, qui date, sauf erreur, de 1919.  Il s'agit de Tournesol que voici en entier. 
Tournesol
La voyageuse qui traverse les Halles à la tombée de l'été
Marchait sur la pointe des pieds
Le désespoir roulait au ciel ses grands arums si beaux
Et dans le sac à main il y avait mon rêve ce flacon de sels
Que seule a respiré la marraine de Dieu
Les torpeurs se déployaient comme la buée
Au Chien qui fume
Où venaient d'entrer le pour et le contre
La jeune femme ne pouvait être vue d'eux que mal et de biais
Avais-je affaire à l'ambassadrice du salpêtre
Ou de la courbe blanche sur fond noir que nous appelons pensée
Les lampions prenaient feu lentement dans les marronniers
La dame sans ombre s'agenouilla sur le Pont-au-Change
Rue Git-le-Cœur les timbres n'étaient plus les mêmes
Les promesses de nuits étaient enfin tenues
Les pigeons voyageurs les baisers de secours
Se joignaient aux seins de la belle inconnue
Dardés sous le crêpe des significations parfaites
Une ferme prospérait en plein Paris
Et ses fenêtres donnaient sur la voie lactée
Mais personne ne l'habitait encore à cause des survenants
Des survenants qu'on sait plus dévoués que les revenants
Les uns comme cette femme ont l'air de nager
Et dans l'amour il entre un peu de leur substance
Elle les intériorise
Je ne suis le jouet d'aucune puissance sensorielle
Et pourtant le grillon qui chantait dans les cheveux de cendres
Un soir près de la statue d'Etienne Marcel
M'a jeté un coup d'œil d'intelligence
André Breton a-t-il dit passe
André Breton

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire