jeudi 8 décembre 2011

Nation catalagne


Samedi 17 juin 2006
NATION CATALAGNE : LE POINT DE VUE D'UN OCCITANISTE NON NATIONALISTE
Bonjour,

Et merci pour cette réflexion sur la Catalogne (qui n'est pas chez nous une couverture).

En effet, dimanche les Catalans voteront, sans grand enthousiasme semble-t-il, un texte qui les reconnaîtra en tant que nation, qui officialisera définitivement le bilinguisme en rendant obligatoire la connaissance et l'usage de la langue catalane, et surtout qui donnera au pouvoir catalan maîtrise de la fiscalité.

Le vieux centrisme droitier catalan est pour. Dans ses différentes composantes, la gauche est pour. Mais, paradoxalement, à première vue, les républicains voteront contre, alors que ce projet s'inscrit dans ce qu'ils demandent depuis des années. Mais ils estiment qu'il ne va pas assez loin.
Ils rejoignent dans le NON le parti populaire (droite nationaliste espagnole d'Aznar), qui eux évidemment estiment que ce projet est inacceptable car il fait éclater l'Espagne.

Mon point de vue ? Il m'est personnel et sans doute bien schématique. Mais voici, en quelques lignes.

En tant qu'intervenant culturel occitaniste, je relève que le projet reconnaît "le droit national" des habitants du Val d'Aran, vallée frontalière avec la France, à utiliser la langue occitane. Et les républicains estiment que le projet ne va pas assez loin en ne reconnaissant pas plus clairement l'existence d'une nation occitane.

Détail menu, certes, mais révélateur. Sur les quelques dizaines de millions d'habitants des régions de France où l'occitan est ou fut parlé, une poignée seulement reven-diquent la reconnaissance d'une nation occitane. Et il y a fort à parier qu'en Val d'Aran, l'attachement légitime des quelques milliers d'habitants à leur parler occitan ne se prolonge pas d'une revendication nationaliste. En fait, on est là dans dans une opération qui me paraît très dangereuse : une langue = une nation, même si les locuteurs de cette langue ne formulent pas la revendication.
La revendication est formulée en Catalogne. ce qui n'au-torise en rien les Catalans à la formuler pour des gens qui ne la revendiquent pas. On peut défendre une langue sans vouloir créer une nation...

Et cette opération, qui se veut essentiellement au service de la cause catalane, occulte ce qui à mon avis est l'essentiel. À savoir que si le nationalisme catalan s'est bien sûr cristallisé autour d'une langue, il a puisé toute sa vigueur dans la réalité historique d'une région où la bourgeoisie, très vite devenue bourgeoisie industrielle, après une adhésion sans chaleur à l'état espagnol, tant que celui-ci lui offrait des perspectives d'exploitations coloniales (brisées dans la seconde moitié du XIXe),est devenue adversaire de cet état archaïque, inefficace, qui entravait le développement capitaliste. Et, au tournant du XIXe et du XXe, dans la très dure lutte de classe menée entre cette bourgeoisie et le prolétariat de Catalogne, les uns et les autres, violemment opposés, ont trouvé dans la lutte contre cet état espagnol et dans la promotion du catalan un terrain de rencontre, qui n'impliquait pas le moins du monde unanimisme.

On parle catalan dans ce qui est aujourd'hui la région autonome de Valence, plus au Sud, comme on parle catalan aux Baléares, mais les conditions socio-économiques de ces régions étant tout autres, la revendication autonomiste ne s'y est pas affirmée, et la revendication linguistique en est restée à une renaissance littéraire plus ou moins passéiste, doublée d'un unanimisme rêvé, comme dans notre Provence félibréenne : tous Provençaux, tous locuteurs du provençal, donc tous frères....
La terrible répression franquiste a soudé bien des courants du catalanisme, mais ne doit pas faire oublier qu'une partie du catalanisme bourgeois, épouvantée par la poussée "rouge" de 1931-1939, a préféré Franco au Frente popular... Il reste que la persécution du catalan sous Franco en a fait une langue martyre, qui s'est d'autant plus redressée après 1976 qu'elle avait été persécutée. Mais ce redressement s'est grandement fait sous la houlette d'un centrisme droitier lié aux milieux d'affaires, aux décideurs, dont l'objectif pro-clamé a toujours été que la nation catalane soit maîtresse de ses richesses et des conditions de son développement. Avec le risque évident de voir naître en Espagne ce qui germe ou s'affirme dans d'autres pays européens : le séparatisme des régions riches décidées à ne pas partager avec les régions pauvres. Et ceci doublé d'un européanisme très clairement axé sur la fin des états-nations et leur remplacement par des entités "ethnico-linguistiques".
Je ne sais pas ce qu'a pu théoriser le PC du Québec sur la cause nationale. La gauche catalane, en tout cas, ne répond pas clairement sur l'avancée sociale que pourrait porter une affirmation de la Catalogne en nation, et le centre droitier catalaniste y voit lui clairement la possibilité d'une politique encore plus "libérale", plus propice aux intérêts des possédants.

Pour autant, la sincérité du nationalisme, ou du patriotisme, comme vous voudrez, des uns et des autres, n'est pas en cause. Et les plus âgés l'ont payé souvent d'années de prison.
C'est pourquoi, effectivement, ils se sont tournés vers l'expérience québécoise, pour traiter le problème de la langue et celui de l'immigration
(http://www.ameriquebec.net/2006/05/21-la-catalogne-s-interesse-aux-pouvoirs-du-quebec.html).

Reste à savoir ce que donnera dans la jeunesse, obliga-toirement bilingue,cette entreprise menée par en haut. La langue catalane pour elle n'a plus le statut du martyre et le parfum de la liberté. Elle est celle d'une "normalité" souvent close sur un nationalisme proclamatoire et moralisant, alors que la langue espagnole ouvre à la fois les horizons stimulants d'autres continents et les portes tentatrices de la standardisation consumériste internationale.
Cordialement,

R.Merle

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire