lundi 12 décembre 2011

Bolivie : de l'eau dans le gaz


Samedi 19 août 2006
DE L'EAU DANS LE GAZ DE LA BOLIVIE
 
Libre salmigondis voudrait d'abord être un lieu de poésie.  Comme l'a déjà dit Richard Desjardins dans une conférence à Montréal vers 1991, le poète souhaiterait bien se concentrer sur sa job : rêver le monde, parler d'amour.  Mais il y a de partout des cieux menaçants, de l'indignation, des commandes de légitime défense, des urgences qui bousillent l'art.  Félix Leclerc, l'Allouette en colère,  avait compris cela lui aussi à la fin de sa carrière.   
 
Parlant de nécessités, au Québec très peu de personnes, hélas, parlent de nos voisins, de nos frères «américains» au sens continental du terme.  Il me fait donc doublement plaisir d'accueillir en ces pages des textes de Jean-Paul Dammagio, instituteur français, ami du Québec, mon ami, voyageur des Amériques et militant politique.    
 
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 Ce paysan acharné, décidé et infatigable, fit la Une des gazettes du monde début décembre 2005. Il était devenu président de la République en sachant que l’heure du repos n’avait pas sonné, d’autant qu’il avait l’intention de réaliser son programme en trois points : une nouvelle assemblée constituante, une nationalisation du gaz et une réforme agraire (dans cet ordre car toute action a besoin d’ordre). L’Assemblée est en place depuis le 6 août, la réforme agraire suit son cours, mais la nationalisation des hydrocarbures… Par un texte très bref, j’avais, le premier mai 2006, annoncé la décision de nationaliser, mais de la décision à la réalisation …

« Avec le pétrole en arrière-fond, comme grand protagoniste de la division internationale du travail, du monde du capital qui est celui qui détermine d’ailleurs cette crise, nos souffrances, nos immaturités, nos faiblesses, et en même temps les conditions d’assujetissement de notre bourgeoisie, de notre néo-capitalisme présomptueux ». C’est Pasolini parlant de la toile de fond de son dernier roman … Pétrole. Déjà, en 1974 !

En nationalisant, Evo Morales et son gouvernement n’avait pas la sensation d’aller à l’aventure, d’abord parce que c’est la troisième nationalisation dans le pays, qu’il y avait déjà une petite entreprise publique à disposition, YPFB, que la privatisation précédente avait laissé 49% des actions à l’Etat bolivien (sans en lui laisser la gestion) et que les amis de la PDVSA vénézuélienne étaient aussitôt accourus en renfort. D’ailleurs, Hugo Chavez en personne fit le voyage à Ciudad del Este pour arrondir les angles avec Lula et Kirchner. Quels angles ?

La nationalisation touchait surtout l’entreprise nationale brésilienne Petrobras et l’entreprise argentino-espagnole Repsol(à un petit degré Total, qui se pliera aux décisions dePetrobras). Le lecteur naïf peut penser qu’entre latinos tout allait couler de source, d’autant que la Bolivie souhaitait seulement accéder à 51% du capital des entreprises, et augmenter le gaz à un tarif plus correct que le pillage organisé depuis des années. Or, c’est de l’eau qui coule dans le gaz : Petrobras ne veut rien entendre ! L’entreprise l’a annoncé dès le départ et confirme depuis : cette nationalisation est inacceptable ! Aujourd’hui, 18 août, les négociations sont rompues, et côté brésilien, le gouverneur de Mato Grosso craint des coupures en représailles.

La tension monte à La Paz où, qui plus est, les enseignants entame une grève dure pour demander des augmentations de salaire. Andrès Solis le courageux ministre des hydrocarbures va-t-il être censuré et obligé de démissionner par le Sénat ? L’acharné et infatigable Evo, depuis qu’il a mis un pied dans la lutte, n’a cessé de surprendre autour de lui. Dix fois, il a été considéré mort, dix fois il est revenu au premier plan, jusqu’à cette élection historique avec 55% des voix dès le premier tour. En recoupant les résultats de juillet de tous les instituts de sondages, il est sans contexte possible le président le plus aimé de toutes les Amériques (loin devant Bush bien sûr). Il a trouvé l’instrument de la contre-attaque hors des Amériques … en Norvège !

C’est sûr que les Brésiliens l’emporte pour le moment; ils retardent la nationalisation, interviennent comme chez eux dans les affaires intérieures du pays (mieux que ne pourrait le faire les USA) et réussissent même à passer pour des martyrs ! Petrobrasa beaucoup investi en Bolivie, c’est vrai, mais sans retour en termes de bénéfices ? À qui peuvent-ils le faire croire quand tous les pays producteurs d’hydrocarbures ne savent plus combien de millions de dollars leur tombent sur la tête ? La Norvège est le troisième plus grand bénéficiaire de la montée du prix du baril, après l’Arabie Saoudite et la Russie et le gouvernement sait très exactement le chiffre des bénéfices de ses deux entreprises nationales Statoil et Norsk Hydro.

Erik Solheim le ministre norvégien en charge du dossier est actuellement en Bolivie pour fixer la forme de l’aide à apporter, une aide qui n’est pas que technique. Ce pays a mis en place une structure pour aider les petits pays qui veulent contrôler la corruption, et calculer les taxes pétrolières (la négociation avecPetrobras semble achopper sur les chiffres quand on compare le montant des bénéfices affiché l’an dernier et l’étrange baisse de cette année). Elle travaille déjà dans 16 pays d’Afrique et d’Asie et va pour la première fois mettre les pieds en Amérique latine. Son intervention est devenue urgente car contrairement à ce qu’espérait Morales, Petrobras a mis en œuvre un énorme plan de déstabilisation. Si Hugo Chavez se montre généreux en fourniture d’asphalte (1600 tonnes pour être précis), PDVSA, son entreprise pétrolière, a tendance à se faire oublier. Pour ne pas faire de l’ombre à l’ami Lula en instance de réélection ?

Quel plan de déstabilisation ? Les investissements de capitaux internationaux tombent de 600 à 100 millions de dollars or, dans le type de nationalisation choisi, les capitaux privés étaient toujours inclus comme partenaires (avec Repsol l’accord est en bonne voie !). Les petites entreprises sous-traitantes boliviennes qui travaillent donc avec Petrobras, sont invitées, par cette entreprise, à chercher du travail ailleurs. Or Evo, plus acharné que jamais, a démontré, preuve à l’appui, que Petrobras se propose de financer une campagne de presse pendant 75 jours à la gloire des transnationales (75 jours c’est le délai qu’il reste aux entreprises pour conclure les négociations ou partir de Bolivie). Alors, bouquet final, l’entreprise brésilienne dénonce la corruption qui domine dans l’entreprise bolivienne (quand on sait les scandales de corruption qui ont été révélés au Brésil et qui doivent, comme partout, être la partie visible de l’iceberg !).

L’iceberg, les Norvégiens connaissent, mais, quand le Wall Street Journal rend compte des problèmes boliviens, avec une certaine courtoisie, le quotidien prend soin d’oublier les capacités nordiques (peu connues en Europe aussi, il est vrai). Pour mieux laisser entendre que la nationalisation à La Paz c’est fini ? Mais Evo continue sur le fil du rasoir, entre ceux qui veulent garder la privatisation, et ceux qui veulent une nationalisation plus radicale. Sa peau d’Indien en a vu d’autres et les neiges de l’Altiplano risquent de plaire aux Norvégiens…

Jean-Paul Damaggio

Sources : Bolpress, La Razon, Econoticias, El Tiempo, Wall Street Journal.

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