lundi 12 décembre 2011

Le gouffre du dessous


Samedi 19 août 2006
LE GOUFFRE DU DESSOUS
 
Nos associations libres n'expliquent parfois ni les rêves, ni les réalités de l'esprit que l'on voudrait croquer d'un trait rapide.  L'autre jour (cf. mon entrée du 13 août), la première station de mon Chemin sans croix blablatait contre «les écrivains qui marchent sur la tête».  Je pensais ici au vieux barbu griffant son maître Hegel : les idéalistes (au sens philosophique) marchent sur la tête, il faut remettre la pensée en marche...  Je visais l'égoïsme narcissique aussi répandu que la pluie dans les lettres, les scripts, les carnets, les blogues... 
 
Or suivant l'expérience ultime et insondable du XXe siècle, une lecture récente me suggère une toute autre interprétation de la posture. 
 
En effet, dans Paroxysmes - La parole hyperbolique (VLB, 2006),  Michaël La Chance cite d'abord des passages dits célèbres (je ne les connaissais pas) de Paul Celan  qui renverse, contraire à l'aiguille de nos mondes, le plancher des vaches commun.  Celan écrit :  «Il lui était désagréable, parfois, de ne pas pouvoir marcher sur la tête.» et «Qui marche sur la tête a, en vérité, le ciel pour abîme au-dessous de soi.» (p. 16).
 
Michaël ajoute : «Parce que l'enfer est sous la terre, et que le brasier est sous nos pieds : à la surface de la terre affleure la cendre.» (idem).
 
Penser aux toiles rugissantes, effrayantes  de Kiefer (l'avez-vous vu à Montréal l'an dernier?)  peut aider à comprendre de quel «orage d'acier» il s'agit, orage aux manuscrits plombés, aux oiseaux de guerre que nous  recevons sur le dessous de nos pieds, par le haut des yeux...
 
La Chance : «... nous avons un désir et une quête du vivant, quand notre quête même le fait jaillir, le fait apparaître hors de son élément.» (p. 17). Ce qui renvoie à l'abolition, au sentiment de la mort, à la poésie des abysses. 
 
Nous sommes loins des petits secrets mystérieux et croustillants des pèlerins de la compote littéraire!  Loin aussi des autruches mortifiaires.    
 
Anselm Kiefer, Et la terre tremble encore (1982)
 

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