Lundi 5 juin 2006
POUR L'AMOUR DU PÉROU
Au lendemain des élections au Pérou, que penser? Un de nos
correspondants favoris, Jean-Paul Damaggio, fait suivre un commentaire
éclairant en date d'aujourd'hui, 6 juin 2006. Le choix des photos est
de moi.
Pour des raisons non encore expliquées, la fonction commentaire du
serveur de ce blogue est défectueuse depuis plusieurs semaines. Je
regrette au plus haut point cette atteinte au dialogue.
***
Pour Humala Ollanta : l’action concrète commence
Humala à Piura
A
Piura, dans le nord du Pérou, en ce 6 juin 2006, les discussions dans
la rue tournent autour d’une grève annoncée des élus du secteur de
Huancabamba, la partie montagneuse de la région.
Les
travaux devant goudronner le tronçon de route entre Canchaque et Buenos
Aires (pas celui d’Argentine) sont pour la cinquième fois reportés. La
décision, tombée juste après le vote, ne fera pas les titres de la
presse, une presse qui dans l’ensemble préfère se réjouir de la victoire
de leur candidat Alan Garcia.
Le
candidat largement en tête au premier tour, Ollanta Humala, est
largement battu au second en faisant cependant des résultats
spectaculaires dans 14 régions sur 24. Il est battu par l’électorat de
Lima, Trujillo et Piura qui représente 47% de l’électorat total du pays.
Il est battu par une union sans faille entre la droite et les bastions
classiques de l’APRA, le vieux parti d’Alan Garcia qui a obtenu le
soutien d’un de ses adversaires les plus durs, Mario Vargas Llosa.
Cependant, avec 45 élus au Congrès, Ollanta Humala va pouvoir s’activer
concrètement et se préparer de manière plus solide et plus claire pour
les futures échéances.
Le second tour a été transformé par la presse en vote
contre Chavez.
Le «trium verrat» Moralès, Chavez, Humala
(Photo Cato Institute).
La
moindre déclaration du président vénézuélien a été martelée comme
atteinte à la souveraineté nationale et, Ollanta Humala avait beau
rappeler que la colonisation actuelle du pays était plus le fruit des
politiques néo-libérales chères à Alan Garcia, qu’aux déclarations sans
doute trop tapageuses de son soutien numéro 1, il eut du mal à
contourner cet ultime piège des médias. D’autant que Montesinos, de sa
prison, a volé au secours du même Alan Garcia, au moment où les
autorités chiliennes libéraient Fujimori !
Dans
un second tour qui aurait opposé Lourdes Flores, la candidate affichée
de l’oligarchie, et Ollanta Humala, ce dernier aurait gagné. Mais, Alan
Garcia ayant supplanté Lourdes Flores d’un cheveu, il a pu rogner sur
une partie du vote de gauche et reprendre donc la direction de son pays,
un pays plus divisé que jamais entre la montagne et la côte.
La
leçon servira-t-elle la gauche latino-américaine? Humala, par la
nouveauté de sa présence, par les inquiétudes que soulevaient son
parcours, laissait planer un doute sur la nature vraiment de gauche de
son nationalisme. Des années dans l’opposition lui seront peut-être plus
bénéfiques qu’une élection surprise qu’il risquait de mal gérer. Pour
les leçons à tirer de l’épreuve, Hugo Chavez serait peut-être le plus
concerné. Même si le scrutin ne s’est pas joué sur ses interventions
(« si Alan Garcia est élu, le Venezuela rompra ses relations avec le
Pérou »), elles contribuèrent à brouiller les cartes et à détourner
l’attention des situations concrètes.
Pour
comprendre l’importance de la question péruvienne aux yeux de Chavez,
il faut se souvenir qu’en 1974, à Lima, le jeune militaire vénézuélien
tomba en admiration devant le président d’alors, Velasco Alvarado qui
lui confia une de ses erreurs : ne pas avoir su susciter, autour de son
gouvernement, l’enthousiasme populaire, leçon qui marqua définitivement
le jeune Hugo. En 1968, au moment où les militaires latino-américains
tiraient sur leurs peuples, ceux du Pérou prenaient le pouvoir par un
coup d’Etat, pour nationaliser le pétrole, et développer un nationalisme
de gauche !
Malheureusement
Chavez n’a pas lu les livres d’écoles qui forment les enfants péruviens
depuis des lustres. Il aurait été surpris d’apprendre comment on y
présente son autre référence : Simon Bolivar. Dans un tableau en 14
points qui compare San Martin et Bolivar, San Martin est le héros
parfait et Bolivar le héros douteux. Simple exemple : « San Martin est
simple, sincère, discipliné en tout. Bolivar est arrogant, vaniteux, exhibitionniste et aime le faste ».
Je
m’éloigne, sans doute à tort, des problèmes de la route Canchaque
Buenos-Aires, cette route où les habitants voudraient pouvoir faire
circuler aisément leurs riches productions : le riz, la canne à sucre,
le café, le maïs, les moutons, les citrons. Une route merveilleuse où,
pour le moment, les camions circulent à 10 km à l’heure pour arriver à
Huancabamba où les attendent les chamans et leurs lagunes miraculeuses.
Pour aujourd’hui, ce sont plus exactement des gens en colère qui
occupent les rues car l’eau, en guise de miracle, n’arrive plus dans la
ville. Des tuyaux ont été détruits et pendant 5 jours l’eau se fit
rare !
Certains
penseront que pour préserver ce paradis, il faudrait lui éviter le
goudron, or, pour le moment, à cause en partie du manque de
communications, l’exil conduit les habitants de cette infinie verdure,
vers le désert de Piura ! Des ONG allemandes ont installé des panneaux
solaires pour faire fonctionner le téléphone mais tout ça ne suffit pas
pour assurer une vie digne des temps présents.
Alan
Garcia va-t-il concevoir enfin un projet de développement qui réussisse
à inverser la tendance lourde qui porte les habitants vers la côte où
des tonnes de problèmes se concentrent ? C’est impossible car les
critères de rentabilité qui fonctionnent sur les bases du FMI et qui
sont les siens, ont, des territoires, une vision sommaire : « Vive les
plaines et mort aux montagnes ». Le mouvement social, les forces
d’Humala qui viennent des montagnes devront sans doute approfondir leurs
objectifs pour imposer un Pérou plus humain, plus juste et donc
débarassé des autorités qui le conduisent à l’asphyxie. Le résultat
électoral indique que ce projet peut susciter beaucoup d’adhésions. Ne
pouvant sortir des urnes, il a de l’avenir dans des luttes que parfois
les Péruviens conduisirent à la victoire. Des luttes qui devraient se
pencher sur l’état de leur télévision et de leur presse. La Republica
est un quotidien de centre-gauche face au Comercio qui appuie les
pouvoirs en place. Va-t-il saisir l’occasion pour s’ancrer davantage à
gauche? A suivre.
Jean-Paul Damaggio
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