samedi 3 décembre 2011

Pour l'amour du Pérou


Lundi 5 juin 2006
POUR L'AMOUR DU PÉROU
 
Au lendemain des élections au Pérou, que penser?  Un de nos correspondants favoris, Jean-Paul Damaggio, fait suivre un commentaire éclairant en date d'aujourd'hui, 6 juin 2006.  Le choix des photos est de moi.
 
Pour des raisons non encore expliquées, la fonction commentaire du serveur de ce blogue est défectueuse depuis plusieurs semaines.  Je regrette au plus haut point cette atteinte au dialogue.
 
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Pour Humala Ollanta : l’action concrète commence


Humala à Piura


A Piura, dans le nord du Pérou, en ce 6 juin 2006, les discussions dans la rue tournent autour d’une grève annoncée des élus du secteur de Huancabamba, la partie montagneuse de la région.


 Les travaux devant goudronner le tronçon de route entre Canchaque et Buenos Aires (pas celui d’Argentine) sont pour la cinquième fois reportés. La décision, tombée juste après le vote, ne fera pas les titres de la presse, une presse qui dans l’ensemble préfère se réjouir de la victoire de leur candidat Alan Garcia.

Le candidat largement en tête au premier tour, Ollanta Humala, est largement battu au second en faisant cependant des résultats spectaculaires dans 14 régions sur 24. Il est battu par l’électorat de Lima, Trujillo et Piura qui représente 47% de l’électorat total du pays. Il est battu par une union sans faille entre la droite et les bastions classiques de l’APRA, le vieux parti d’Alan Garcia qui a obtenu le soutien d’un de ses adversaires les plus durs, Mario Vargas Llosa. Cependant, avec 45 élus au Congrès, Ollanta Humala va pouvoir s’activer concrètement et se préparer de manière plus solide et plus claire pour les futures échéances.

Le second tour a été transformé par la presse en vote
contre Chavez.

  
Le «trium verrat» Moralès, Chavez, Humala
(Photo Cato Institute).

La moindre déclaration du président vénézuélien a été martelée comme atteinte à la souveraineté nationale et, Ollanta Humala avait beau rappeler que la colonisation actuelle du pays était plus le fruit des politiques néo-libérales chères à Alan Garcia, qu’aux déclarations sans doute trop tapageuses de son soutien numéro 1, il eut du mal à contourner cet ultime piège des médias. D’autant que Montesinos, de sa prison, a volé au secours du même Alan Garcia, au moment où les autorités chiliennes libéraient Fujimori !

Dans un second tour qui aurait opposé Lourdes Flores, la candidate affichée de l’oligarchie, et Ollanta Humala, ce dernier aurait gagné. Mais, Alan Garcia ayant supplanté Lourdes Flores d’un cheveu, il a pu rogner sur une partie du vote de gauche et reprendre donc la direction de son pays, un pays plus divisé que jamais entre la montagne et la côte.

La leçon servira-t-elle la gauche latino-américaine?  Humala, par la nouveauté de sa présence, par les inquiétudes que soulevaient son parcours, laissait planer un doute sur la nature vraiment de gauche de son nationalisme. Des années dans l’opposition lui seront peut-être plus bénéfiques qu’une élection surprise qu’il risquait de mal gérer. Pour les leçons à tirer de l’épreuve, Hugo Chavez serait peut-être le plus concerné. Même si le scrutin ne s’est pas joué sur ses interventions (« si Alan Garcia est élu, le Venezuela rompra ses relations avec le Pérou »), elles contribuèrent à brouiller les cartes et à détourner l’attention des situations concrètes.


Pour comprendre l’importance de la question péruvienne aux yeux de Chavez, il faut se souvenir qu’en 1974, à Lima, le jeune militaire vénézuélien tomba en admiration devant le président d’alors, Velasco Alvarado qui lui confia une de ses erreurs : ne pas avoir su susciter, autour de son gouvernement, l’enthousiasme populaire, leçon qui marqua définitivement le jeune Hugo. En 1968, au moment où les militaires latino-américains tiraient sur leurs peuples, ceux du Pérou prenaient le pouvoir par un coup d’Etat, pour nationaliser le pétrole, et développer un nationalisme de gauche !

Malheureusement Chavez n’a pas lu les livres d’écoles qui forment les enfants péruviens depuis des lustres. Il aurait été surpris d’apprendre comment on y présente son autre référence : Simon Bolivar. Dans un tableau en 14 points qui compare San Martin et Bolivar, San Martin est le héros parfait et Bolivar le héros douteux. Simple exemple : « San Martin est simple, sincère, discipliné en tout. Bolivar est arrogant, vaniteux, exhibitionniste et aime le faste ».

Je m’éloigne, sans doute à tort, des problèmes de la route Canchaque Buenos-Aires, cette route où les habitants voudraient pouvoir faire circuler aisément leurs riches productions : le riz, la canne à sucre, le café, le maïs, les moutons, les citrons. Une route merveilleuse où, pour le moment, les camions circulent à 10 km à l’heure pour arriver à Huancabamba où les attendent les chamans et leurs lagunes miraculeuses. Pour aujourd’hui, ce sont plus exactement des gens en colère qui occupent les rues car l’eau, en guise de miracle, n’arrive plus dans la ville. Des tuyaux ont été détruits et pendant 5 jours l’eau se fit rare !

Certains penseront que pour préserver ce paradis, il faudrait lui éviter le goudron, or, pour le moment, à cause en partie du manque de communications, l’exil conduit les habitants de cette infinie verdure, vers le désert de Piura ! Des ONG allemandes ont installé des panneaux solaires pour faire fonctionner le téléphone mais tout ça ne suffit pas pour assurer une vie digne des temps présents.

Alan Garcia va-t-il concevoir enfin un projet de développement qui réussisse à inverser la tendance lourde qui porte les habitants vers la côte où des tonnes de problèmes se concentrent ? C’est impossible car les critères de rentabilité qui fonctionnent sur les bases du FMI et qui sont les siens, ont, des territoires, une vision sommaire : « Vive les plaines et mort aux montagnes ». Le mouvement social, les forces d’Humala qui viennent des montagnes devront sans doute approfondir leurs objectifs pour imposer un Pérou plus humain, plus juste et donc débarassé des autorités qui le conduisent à l’asphyxie. Le résultat électoral indique que ce projet peut susciter beaucoup d’adhésions. Ne pouvant sortir des urnes, il a de l’avenir dans des luttes que parfois les Péruviens conduisirent à la victoire. Des luttes qui devraient se pencher sur l’état de leur télévision et de leur presse. La Republica est un quotidien de centre-gauche face au Comercio qui appuie les pouvoirs en place. Va-t-il saisir l’occasion pour s’ancrer davantage à gauche?  A suivre.

Jean-Paul Damaggio
 

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